Prévenir les crises ?
Zone de turbulences. À coup sûr, nous sommes entrés dans une période d’accélération des crises et des ruptures. Et sans être capables d’anticiper.
Aussi l’initiative, baptisée « projet Cassandre », est-elle particulièrement bien venue d’interroger un large panel d’experts ou de grands témoins familiers de la prospective autour de la notion de « signaux faibles ». Un ouvrage collectif (Prévenir les crises, Armand Colin, Paris, mai 2013) explore les multiples terrains où germent ces « Cassandres modernes qu’il faut savoir écouter ».
Les crises sont des moments de bouleversement affectant des systèmes jusque-là apparemment cohérents. En étudier les processus permet de mieux rendre compte de ce qui fait crise, d’en analyser les manifestations et de tenter d’expliquer les inattentions portées à des événements prémonitoires.
Edgar Morin a élaboré une théorie complexe de la crise, intégrant la notion d’incertitude comme symptôme clé de l’élargissement d’une crise. En se généralisant la notion s’est comme vidée de l’intérieur, dit-il. À l’origine, krisis signifie « décision » : c’est le moment décisif, dans l’évolution d’un processus incertain. Aujourd’hui « crise » signifie « indécision ». C’est le moment où, en même temps qu’une perturbation, surgissent les incertitudes.
Un système qui n’arrive pas à résoudre les problèmes qui le menacent n’a pour issues que la désintégration ou la métamorphose, c’est à dire la capacité d’intégrer les problèmes et de les transformer en nouvelles possibilités. Tous les signaux sont à saisir dans la perspective de cette intégration, sans par conséquent les isoler de l’expertise d’usage des gens.
Les signaux citoyens sont peu entendus, mal transmis ou écartés. Relégués au registre du phantasme et des irrationalités indécentes ou bien des intuitions incorrectes aux yeux des spécialistes, ils relèvent le plus souvent d’un interdit.
La faiblesse du signal citoyen tient aussi à sa dilution dans une masse de signaux simplistes, hâtivement sélectionnés et amplifiés par la médiatisation. Les messages d’intérêt général ou de compromis sociaux, visant à surmonter une situation difficile ou à accompagner une réforme, se trouvent comme intimidés dans un contexte foisonnant d’informations.
Un signal est forcément édulcoré s’il est contraint de se dépouiller des respects dus à la complexité et à la globalité.
Dire la complexité des choses pour faire appel à la lucidité des gens, se trouve souvent ramené à la petite phrase qu’affectionnent les journalistes politiques pour se conformer aux exigences du spectacle médiatique. Cette réduction rend aveugle aux profondes mutations à l’œuvre dans le savoir et la société.
Il faut donc associer les citoyens pour parvenir à une compréhension collective globale des décisions utiles et aussi mieux les purger des risques pervers de leur mise en œuvre dans la société.
Bien anticiper implique d’informer et de se concerter. La prospective doit aujourd’hui retenir que gouverner c’est difficilement prévoir. C’est, hélas, de moins en moins choisir. C’est alors surtout prévenir.